Vers une nouvelle architecture régénérée


Architecte engagée et enthousiaste, Leslie Gonçalves voit dans le monde d’après une opportunité unique de refonder la conception des villes. Le confinement du printemps dernier a remis en cause le modèle des métropoles bétonnées et fait émerger une envie de verdure. Le tout au profit d’une ville du futur écologique et biosourcée. Leslie Gonçalves est aussi convaincue que les architectes ont un rôle clé à jouer dans ce changement de cap écologique et social. Utopiste ? Pas tant que ça.

 

En mai, vous avez publié une tribune intitulée « Léguer nos vi(ll)es post-Covid-19 sur une terre régénérée » sous la forme d’une lettre telle que vous aimeriez pouvoir l’écrire à vos enfants dans 15 ans. Quel est le message que vous adressez aux futures générations ?

Ces derniers mois, les appels se sont multipliés pour prendre soin de la Terre, faire basculer l’humanité dans une nouvelle ère de résilience. En tant qu’acteurs de la construction, les architectes ont un rôle à jouer sur la régénération des territoires. Comment ? Choix de matériaux biosourcés, constructions zéro carbone, réhabilitation du « déjà-là », aménagements urbains favorisant la réintroduction de la mixité et de la nature, accompagnement d’une nécessaire réorganisation du travail, développement de liens avec nos campagnes… Nous devons changer de paradigme et développer une prospérité équilibrée.

 

Aerem Usine Bepos bois paille
Image : Stéphane Brugidou

Que révèle cette crise sanitaire inédite sur nos modes de vie urbains ?

Des villes toujours plus bétonnées… Tout regrouper dans les métropoles n’est ni une nécessité, ni un gage de qualité de vie. Pendant le premier confinement, la densité urbaine est apparue intenable pour beaucoup : pas de verdure, des logements déconnectés de la réalité du vivant. Cette envie de nature doit devenir une source de créativité pour les architectes. Autre enseignement, la période du confinement a révélé le besoin de connexion au vivant, à la nature. Il est nécessaire de réintégrer ces éléments, de rééquilibrer les espaces urbanisés et naturels en ville, avec des îlots de fraîcheur, puits carbone ou corridors de biodiversité.

Logements coopératifs Abricoop
Photo : Stéphane Brugidou

Concrètement, comment redessiner l’architecture des villes de demain ?

Le premier postulat concerne la matière première. Nous devons opter systématiquement pour des matériaux biosourcés, géosourcés ou issus du réemploi : bois, terre crue, paille, chanvre, paille de riz, etc. Notre travail est de réapprendre à utiliser ces matériaux ancestraux et les rendre « sexy » car ils développent des éléments techniques et de confort qui vont au-delà des matériaux utilisés aujourd’hui. La terre crue, par exemple, abrite déjà 2,5 milliards de personnes sur les cinq continents. Près de 15 % du patrimoine architectural français est en terre crue mais seulement 0,01 % des constructions neuves l’ont été au cours des cinq dernières années. Le béton, de son côté, doit à présent être considéré comme un matériau rare, réservé aux utilisations qui requièrent, sans substitution possible, ses propriétés exceptionnelles. Dans les autres cas de figure, la terre crue et l’ossature bois représentent une alternative crédible au béton. Les architectes peuvent ainsi, à leur niveau, contribuer au sauvetage des fonds marins, des plages et des carrières d’où l’on extrait le sable avec lequel on fabrique le béton.

 


Bourdelle LTA
Image : Fabrice Andrieu

 

« Il est nécessaire […] de rééquilibrer les espaces urbanisés et naturels en ville, avec des îlots de fraîcheur, puits carbone ou corridors de biodiversité. »

Agence bioclimatique
Photo : S. Brugidou

 

Vous insistez également sur l’importance du « déjà-là ». Pourquoi ?

L’architecte Franck Boutté* rappelle que, si le zéro carbone est la norme pour les nouveaux bâtiments et écoquartiers, la construction neuve ne représente chaque année qu’environ 1 % du parc global de logements, bureaux et bâtiments publics en France.Les acteurs de l’acte de construire doivent donc prendre en considération le « déjà-là », les 99 % du bâti restant, pour réhabiliter, transformer, réem-ployer, densifier et ainsi valoriser les espaces ur-bains. Parfois aussi pour démolir et ouvrir des es-paces de respiration et de biodiversité au cœur de nos villes pour y restaurer cette relation à la nature. Il faut des équipes pluridisciplinaires, d’architectes, paysagistes, écologues pour arriver à un résultat alliant écologie et bâtiment, pour construire la ville de demain.

Quel projet mené par votre agence Seuil architec-ture valorise l’existant pour construire des espaces urbains vertueux ?

Il y en a plusieurs. Nous sommes, par exemple, en train de rénover avec LTA architectes, le lycée d’en-seignement général, technique et professionnel Bourdelle, à Montauban. Cette réhabilitation re-court aux matériaux biosourcés. Elle s’appuie sur une architecture bioclimatique, un Bâtiment à Energie POSitive (BEPOS), un îlot de fraîcheur, etc. Nous avons choisi des modes constructifs frugaux pour les nouveaux bâtiments qui accueilleront le centre de documentation et la salle polyvalente. Les parois, géo-sourcées sont réalisées en double murs ventilés, l’ossature est en bois avec un remplissage de 2 000 bottes de paille. Nous travaillons en étroite collabora-tion avec un paysagiste pour sortir 16 000m2 d’enrobé de la cour de récréation et renaturer, végétaliser les lieux. Notre objectif est de faire revenir la biodiversité – les lombrics par exemple – d’ici trois ans, en créant une agro-foresterie urbaine.

 

« Il faut des équipes pluridisciplinaires, d’architectes, paysagistes, écologues pour arriver à un résultat alliant écologie et bâtiment, pour construire la ville de demain. »

Wood_Art – Dietrich Untertrifaller archi
Photo : Seuil Architecture

 

Ces projets durables coûtent-ils plus chers ?

Intégrer ces matériaux coûte forcément plus cher. Mais nous devons changer les règles du jeu pour imaginer le monde d’après. Le concept d’écolonomie** doit s’im-poser : association originale mais essentielle d’écologie et d’économie qui tend à suggérer et à démontrer qu’il est plus économique de travailler de façon écologique au court et au long terme.Le confinement a également modifié notre rapport aux espaces de travail, à l’entreprise. Quelles sont les conséquences pour les architectes ?Si beaucoup de Français ont découvert les vertus du télétravail, ils restent très attachés à l’entreprise comme lieu de rencontre et de sociabilisation. C’est pourquoi, en parallèle de la construction de grands sièges d’en-treprises, nous devons travailler sur des petites unités de travail, plus familiales. Cette nouvelle donne est aussi une opportunité unique de relier les lieux de travail à la campagne, de créer des espaces de cowor-king en milieu rural.

Cette redistribution des activités économiques pourrait contribuer à revitaliser et rééquilibrer nos territoires. Ce n’est pas soit tout ville, soit tout campagne. Mais cela ne pourra s’opérer que grâce aux entreprises qui vont repenser l’organisation du travail, démanteler les concentrations urbaines excessives.

Beaucoup de salariés aspirent, après le confinement, à vivre et travailler à la campagne. Mais les territoires ruraux doivent évoluer, mieux se connecter à des équi-pements du quotidien. Si un espace de coworking voit le jour dans une petite ville, celle-ci doit posséder des services, comme par exemple, une maison de santé, un centre culturel, des corridors de nature pour relier les plus grandes villes en mobilité douce. Autant de projets sur lesquels les architectes peuvent se positionner.

* Les Cahiers de l’Anah – Juin 2020. Interview de Franck Boutté, architecte. « Les grands enjeux énergétiques se situent dans le parc existant et la solidarité entre bâtiments ». Page 40-41. En savoir plus : www.anah.fr

** Terme employé par Emmanuel Druon.

 

Minibio :

« Nous sommes des architectes engagés pour un monde plus résilient ». Leslie Gonçalves et Philippe Gonçalves, architectes DPLG, ont cofondé Seuil architecture, à Toulouse en 2005. L’agence pratique et conçoit une architecture soucieuse de l’environnement : bureaux, bâtiments recevant du public, logements collectifs, réhabilitations, data centers, laboratoires de recherches, projets urbains etc.L’approche architecturale de Leslie Gonçalves s’appuie sur une démarche participative pour intégrer les attentes et envies des usagers à la conception d’un projet. Un choix payant, puisque Seuil architecture a récolté de nombreuses distinctions : Grand Prix du jury et Prix Construction bâtiments tertiaires des Trophées de la Construction 2019, Prix Bas Carbone national et international des Green Solutions Awards pour l’usine SCOP Aerem à Pujaudran, en bois et paille, éco-conçue par ses occupants. Leslie Gonçalves a également enseigné le projet urbain et architectural à l’École supérieure d’architecture de Toulouse de 2006 à 2017.

Photo : S. Brugidou