La cour Bareuzai est une petite galerie marchande dans le centre de Dijon, imaginée par l’agence d’architecture Chapman Taylor et la SCI Cour Bareuzai représentée par Marc Fortunato et les sociétés Fortuna et Saint-Jean. Mêlant la valorisation du patrimoine aux desseins commerciaux, elle a reçu une mention spéciale du Prix Versailles 2020.
« Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge », disait Pablo Picasso. La formule vaut peut-être pour un génie de la peinture, mais pas pour l’architecture d’un centre historique. Faut-il pour autant évacuer l’idée d’utiliser des palettes chromatiques chatoyantes ? Lorsque les menuiseries du château de Versailles furent restaurées dans leur état originel, plus d’un observateur fut surpris par leur peinture ocre-jaune. Au XVIIe siècle, les couleurs des menuiseries n’étaient-elles pas rouges, jaunes ou orangées, plutôt que grises ou blanches ? « Louis XIV aimait ce qui brille »,
s’amuse Nicolas Guillot. Et l’architecte de Chapman Taylor de déclarer : « Les teintes cuivrées se marient très bien avec la ville de Dijon, ses toits de tuiles vernissées et sa pierre de Bourgogne, un calcaire blond avec lequel on construisait les immeubles. »
Situé à deux hectomètres du palais des ducs, le projet de la cour Bareuzai vise à consolider le maillage commerçant du centre-ville. Il combine la reconversion de deux hôtels particuliers classés aux monuments historiques (autrefois occupés par des administrations) et la création de trois extensions, afin de proposer cinq magasins sur une surface totale de plancher de 2 300 m2
. Le principe de la composition ? « Relier la rue des Godrans à la place François-Rude grâce à un passage sous porche, explique Nicolas Guillot. Personne ne pouvait admirer ces deux magnifiques demeures du XVIe et du XVIIIe siècle. Il est aujourd’hui possible de rentrer dans la cour d’honneur de l’hôtel Jacqueron et de ressortir le long de l’hôtel des Godrans. »
Photo : Stéphane Rouillard
« La couleur cuivrée est le fil conducteur de notre intervention », ajoute l’architecte. En pénétrant dans la cour Bareuzai, le visiteur découvre deux extensions faites de verre réfléchissant aux reflets dorés, que les maîtres d’œuvre ont déniché dans les pages confidentielles du catalogue de Saint-Gobain. À gauche en entrant, la première extension, dont l’étage déborde sur la rue à l’instar de certaines maisons anciennes, abrite une boutique de mobilier et d’objets de décoration (MOB). À droite, la deuxième adjonction forme la véranda d’un restaurant végétarien (Le Nid). Au fond
de la cour, ennoblie par une sculpture de bronze de 2,80 m de Nathalie Decoster, l’hôtel Jacqueron accueille une boutique de mode (Transat) et un magasin de la chaîne Nature & Découvertes, qui jouit, sur deux niveaux, de la plus grande surface marchande. Les menuiseries en bois du bâtiment historique présentent la même nuance de jaune que tous les ouvrages extérieurs en métal apparent du projet.
Une arche en tôles pliées d’acier doré matérialise ainsi l’entrée du passage qui conduit sous la troisième extension contemporaine. Cette petite construction en lévitation, bâtie en porte-à-faux face au Delirium café (logé dans l’hôtel des Godrans), invite les usagers de la place François-Rude à s’introduire dans le cœur commerçant de la parcelle. Aménagée en librairie par Nature & Découvertes, « elle constitue un lieu spectaculaire, qui offre un beau panorama en surplomb de l’espace public », souligne Nicolas Guillot.
Toutes les extensions sont construites avec des structures métalliques, coiffées de bacs acier isolés et étanchés. Particularité : les couvertures pentées sont recouvertes de surtoitures faites de cassettes posées sur une ossature secondaire : « Il était impératif de traiter la 5e façade. Nous sommes dans le centre ancien et de nombreux occupants des immeubles alentour ont des vues plongeantes sur le projet », rappelle l’architecte. Héritant de géométries difficiles en raison de l’irrégularité des plans, chacune de ces surtoitures est dotée d’un sommet unique (placé en limite
de mitoyenneté) depuis lequel rayonnent toutes les arêtes. « Il y avait peu de surfaces à traiter, mais énormément d’ingénierie à travailler », résume Arnaud Bouilloux, directeur de l’agence de Dijon de SOPREMA Entreprises, à propos de ces « formes de toit en demi-pointe de diamant, dont les pentes sont parfois très différentes. »
Titulaire du lot « couverture / bacs acier / étanchéité / ITE / bardage », SOPREMA Entreprises a fait fabriquer toutes les cassettes des surtoitures à la demande. « La teinte spécifique des ouvrages a impliqué de commander hors catalogue toute une série de pièces de finition et d’accessoires en juste quantité », précise Arnaud Bouilloux. Tels ces rivets, vis et cornières, destinés à la mise en œuvre des habillages des sous-faces du passage et des porte-à-faux, dont l’esthétique commandait qu’ils soient eux-mêmes laqués de couleur d’or. Quand on n’a pas de doré, on ne met pas du gris ou du noir. Tant pis pour Picasso !
Photo : Stéphane Rouillard
Chapman Taylor est une agence internationale d’architectes et d’urbanistes fondée en 1959, à Londres. Elle est présente en Europe, en Asie et au Moyen-Orient, au travers de 17 agences locales. À ce jour, elle a livré plus de 2 000 projets sur les cinq continents. Ses équipes sont constituées de 45 nationalités différentes.
Créée en 2001, l’antenne française de Chapman Taylor compte une
quinzaine de collaborateurs dans le 3e arrondissement de Paris. Elle est dirigée par l’architecte Nicolas Guillot. Ses activités sont essentiellement tournées vers l’urbanisme, les loisirs et le commerce.
Elle présente la singularité de travailler régulièrement comme un « lab », afin d’élargir son champ de réflexion et de nourrir sa pratique quotidienne. L’objectif est d’apprécier de manière globale les évolutions technologiques, les aspects environnementaux, les modes de vie et le bien-être des occupants. Il ne s’agit pas seulement de confronter les savoirs et les idées, mais de parvenir à une mise en application concrète dans le cadre d’un projet théorique. L’ensemble de l’équipe réfléchit à des thématiques émergentes, à partir desquelles elle construit une véritable esquisse. Le lieu et la parcelle sont virtuels, mais les considérations économiques et constructives sont bien réelles.
Difficile de l’ignorer, la pandémie accélère les transitions à l’œuvre. Elle invite à créer des logements qui disposent tous d’un espace extérieur et d’un accès à la nature. Cette tendance lourde est ainsi explorée par Chapman Taylor dans « Un Balcon en Forêt », une modélisation de l’habitat de demain, où l’hyperdensité requise par l’urgence climatique n’en est pas moins rendue plus agréable à vivre grâce à des appartements conçus comme des maisons avec terrasses et jardins. Second exemple, « La Vallée fertile » est un bâtiment de bureaux virtuel qui part du constat que les immeubles tertiaires standards de 18 m d’épaisseur ne correspondent plus aux attentes actuelles. « La communication et l’échange sont devenus essentiels, souligne Nicolas Guillot. L’important n’est plus d’aligner des postes de travail, mais de trouver des lieux de créativité collective ». Un projet, imaginé il y a cinq ans déjà, plus que jamais d’actualité.
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