Le numérique, un outil au service de la transition écologique


De la construction neuve à la rénovation, de la maquette numérique aux objets connectés, le secteur du bâtiment est pleinement impacté par la transformation digitale. Dans le même temps, la construction durable est devenue une préoccupation majeure pour aboutir à des ouvrages plus économes en énergie et plus respectueux de l’environnement. Ces deux injonctions font émerger de nouvelles manières de construire et, de facto, de nouvelles compétences au sein des agences d’architecture. Sophie Bertrand, élue au Conseil national de l’Ordre des architectes, rappelle avec conviction que les outils numériques doivent d’abord servir la première des priorités : habiter une ville plus écologique.

 

Le secteur du bâtiment vit depuis quelques années une double transition : digitale et écologique. Comment les architectes s’approprient-ils ces deux transformations ?

Dans le secteur du bâtiment, 1,5 milliard d’euros de matériaux neufs sont jetés chaque année en France. Il est urgent d’agir contre ce gaspillage écologique et financier, et cela pose la question du recyclage. Les architectes ont compris que le digital présente des atouts pour une transition écologique et énergétique de l’habitat. Qu’il transforme la manière de faire, de l’échelle du bâtiment à celle de la ville.

Ainsi nous devons, collectivement, être vigilants et ne pas nous tromper de chemin : la transition écologique occupe la place la plus importante dans notre travail quotidien. La problématique se pose alors de la façon suivante : « Comment met-on les outils digitaux au service de la transition écologique ? »

Pavillon circulaire – Photo : Cyrus Cornut

Justement, comment fait-on ? Les solutions digitales – maquette numérique, intelligence artificielle, datas, logiciels de simulation, etc. – accélèrent-elles la transition écologique ?

Le digital donne les moyens de mieux comprendre les usages d’un bâtiment et de l’adapter, dès sa phase de conception, aux grands changements climatiques futurs : captation d’énergie solaire, éclairage et chauffage modulables en temps réel en fonction de la fréquentation des locaux, économies d’électricité, aménagement de l’inertie intérieure, bâtiment bas carbone, etc. Le numérique doit être au service du bon sens. Il permet d’anticiper en amont le démontage et le réemploi des matériaux. Grâce aux simulations informatiques, il est plus facile de convaincre les clients, de leur démontrer les atouts et inconvénients des options que nous proposons.

Autrement dit, le digital stabilise la prise de décision.

On tend aujourd’hui vers de nouvelles façons de construire. Nous avons besoin d’exercer notre créativité pour inventer les solutions qui répondent aux enjeux du changement climatique.

Pourtant, vous appelez également à une utilisation raisonnée de ces solutions digitales. Pour quelles raisons ?

La révolution numérique est l’occasion de proposer un modèle plus collaboratif, d’amplifier les échanges entre les architectes et les maîtres d’ouvrage et de monter en compétence.

Mais dire que le numérique va tout résoudre ou que les maisons intelligentes, passives ou bas carbone sont notre futur, c’est illusoire. En France, 30 millions de logements sont à réhabiliter lorsqu’environ 200 maisons à énergie passive sont construites chaque année.

La question est plutôt de savoir comment utiliser les outils numériques pour faire du sur mesure sur l’existant, de la réhabilitation plus pointue, personnalisée, bâtiment par bâtiment. Là, ça devient un outil intéressant. Les technologies existent et leurs progrès sont constants.

Pavillon circulaire – Photo : Cyrus Cornut

Quelles réalisations architecturales vous ont particulièrement marquée par leur démarche écologique ?

Je pense au Pavillon circulaire, de l’agence Encore Heureux, exposé sur le parvis de l’Hôtel de ville de Paris en 2015. Il s’agit d’un démonstrateur, celui d’un avenir plus responsable pour la construction, basé sur l’économie du réemploi. Cette construction singulière est constituée à 70 % de matériaux de seconde main parisiens : cimaises d’exposition pour faire plancher, surplus de tasseaux récupérés sur une réalisation de Rudy Ricciotti dans le XIIe arrondissement pour les plinthes, 180 anciennes portes palières en chêne d’un immeuble en réhabilitation en guise de bardage, plaques d’isolant prises sur un chantier de démolition, chaises récupérées aux encombrants, etc. Autre exemple, l’internat « Les blés en herbe », situé à Rouille dans la Vienne et signé par Dauphin Architecture. Cette résidence étudiante est un projet ambitieux de construction d’un bâtiment à énergie positive. Sans être uniquement biosourcés, les matériaux illustrent cette volonté d’un « rééquilibrage » dans la construction : réduire l’impact environnemental et les consommations d’énergies, tout en veillant au confort des utilisateurs. Sensibilisés à ces enjeux, les lycéens ont posé de la paille et réalisé des briques en terre crue. Derrière chacune de ces réalisations, il y a évidemment de la conception digitale, des simulations, des calculs numériques au service d’une volonté politique de frugalité des modes de vie et de sobriété énergétique.

Les blés en herbe – Maître d’oeuvre : Dauphins – Architecte : Dauphins – Photo : Umberto Coa

Cette double transition – écologique et digitale – engendre-t-elle l’émergence de nouveaux métiers au sein des agences d’architecture ?

Depuis 20 ans, les agences ont énormément progressé sur les questions de digitalisation. Aujourd’hui, c’est acquis pour la très grande majorité d’entre elles. Cela n’a pas entraîné la création de nouveaux métiers, mais plutôt une réelle évolution de notre profession. Je ne crois pas à une spécialisation de l’architecte dictée par les datas, les algorithmes ou l’intelligence artificielle. Dans toute son histoire, l’architecte n’a jamais été un simple concepteur de bâtiment. Il a une approche transversale, suit un chantier du début à la fin, interagit avec tous les acteurs. On tend aujourd’hui vers de nouvelles façons de construire. Les problèmes se complexifient et notre métier est créatif. Nous avons besoin d’exercer cette créativité pour inventer les solutions qui répondent aux enjeux du changement climatique.

La question est plutôt de savoir comment utiliser les outils numériques pour faire du sur mesure sur l’existant, de la réhabilitation plus pointue, personnalisée, bâtiment par bâtiment.

Qu’en est-il de la nouvelle génération d’architectes ? A-t-elle déjà intégré cette nouvelle donne écologique et numérique ?

Oui, elle est même très à l’aise avec ces outils et ces concepts. Les étudiants en architecture sont demandeurs de connaissances. Par exemple, un libraire parisien spécialisé en architecture, m’indiquait que ses meilleures ventes étaient les livres sur la construction en paille et sur les réalisations menées en milieu rural. Par ailleurs, les obligations de formation de 21 heures annuelles – pour tous les architectes – permettent de se tenir informé. Enfin, nous ne sommes pas des artistes qui faisons ce que nous voulons : nos clients sont là aussi pour nous faire avancer sur ces questions, il y a des contraintes réglementaires, des attentes sociétales. Une triple crise structurelle menace notre société : environnementale,sociale et des ressources. Les architectes, profession réglementée, sont au service du bien commun et force de propositions. Celles-ci figurent dans le plaidoyer du Conseil national de l’Ordre des architectes « Habitats, Villes, Territoires, l’architecture comme solution ».

En savoir plus : https://www.architectes.org/actualites/notre-plaidoyer

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MINIBIO

Sophie Bertrand est diplômée de l’École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand. Elle a fondé sa propre structure en 2010 à Eymoutiers, dans le Limousin. Elle imagine une architecture contextuelle, contemporaine et en continuité. Son credo ? Concevoir des habitats profondément ancrés dans leur territoire et résolument tournés vers l’avenir. Ses domaines d’intervention privilégiés sont la réhabilitation du bâti traditionnel limousin, l’utilisation du bois dans la construction, les matériaux sains et les économies d’énergie, la création de nouveaux volumes raccommodant l‘existant. Elle est conseillère à l’Ordre nationale des architectes.

En savoir plus : www.sophiebertrandarchitectures.fr

Photo : Arthur Pequin