Défenseure avant-gardiste d’une ruralité réinventée et fervente militante d’une architecture frugale, Anna Chavepayre insiste sur la nécessité de réinvestir les villages français plutôt que de construire de manière systématique des lotissements neufs. L’architecte franco-suédoise pose toutefois les conditions à ce retour à la campagne : concevoir l’architecture et le paysage comme un tout, c’est-à-dire en intégrant toutes les parties prenantes du projet : les habitants, la nature, le soleil, la biodiversité.
Vous avez cofondé le collectif « Encore », orienté vers une pratique architecturale rurale. Quelle est votre philosophie de travail ?
Notre approche repose sur l’idée que « Nous sommes le paysage ». Cela signifie que nous concevons notre architecture et le paysage comme un tout. Le paysage englobe les êtres humains, les animaux, les fleurs, les arbres, etc. Notre architecture respecte cet existant. Nous travaillons pour que les choses perdurent « Encore » après notre passage. Laisser la place aux espaces tels qu’ils sont, c’est la seule façon pour que l’architecture se réconcilie avec la nature.
L’autre trait caractéristique de votre pratique est son ancrage territorial. Pourquoi est-ce important pour vous ?
Un architecte a besoin de connaître un territoire, une localité avant d’intervenir. Pour bien percevoir et comprendre ce que nous allons construire, il faut être proche. Comprendre le climat, les vents, le soleil, les animaux, les gens dans chaque petite commune, tout autant que les modes constructifs, les artisans, etc.
L’architecture rurale est-elle la seule solution durable ?
Le bâtiment est un des vecteurs de croissance économique d’un pays. Il en découle que le développement durable est lui aussi souvent transformé en un moteur de croissance qui exige beaucoup de matériaux, d’énergie, etc. Au sein du collectif Encore, nous cherchons au contraire à utiliser le moins de matériaux possible. C’est dans l’économie que nous recherchons l’efficacité. Et c’est aussi dans l’économie que se trouve l’écologie.
Pour bien percevoir et comprendre ce que nous allons construire, il faut être proche.
Face à la crise climatique, vous prônez le réinvestissement de nos villages. Vous dites « Cessons de construire des lotissements et rénovons nos villages ». Quels sont les bénéfices de cette approche ?
Ce n’est pas la ville, les constructions, la densité urbaine qui sont problématiques. Mais le délaissement complet de nos campagnes. Aujourd’hui, nous sommes dans l’obligation de changer de point de vue. On ne peut plus construire n’importe où, n’importe comment et continuer de détruire des terres agricoles au profit de constructions de logements alors que les villages ont un taux de vacance élevé dans des bâtiments qui ne demandent qu’à être rénovés. En plus, ils offrent souvent des matériaux naturels d’une qualité inégalable (pierre, bois, terre, etc). Le tout est de comprendre ces bâtiments et de les aimer afin de pouvoir les réhabiliter d’une manière raisonnée et respectueuse. Ce sont d’ailleurs les conditions pour pouvoir le faire dans des coûts maîtrisés.
Quelle place l’architecture peut-elle prendre dans un contexte de désaffection des campagnes ?
Il y a en fait un mouvement croissant de reconquête de la campagne. De plus en plus de gens viennent s’y installer et y inventer leur vie. Il y a tellement peu de choses ici que la moindre transformation peut avoir un effet considérable. Un restaurant, une boulangerie, une salle d’exposition et tout un village renaît. Beaucoup l’ont compris. Nos projets essaient le plus possible de créer ces lieux de rencontre, ces espaces de partage. Nous tentons de construire pour que les gens d’ici puissent rester dans les villages et que d’autres viennent s’y installer. Nous ne construisons pas de maisons secondaires. Nous ne travaillons que pour des résidents permanents. Nous ne voulons rien de moins que changer notre société et notre façon de vivre. Et il est peut-être plus facile de commencer à changer le monde à Labastide-Ville-franche, que dans une grande ville comme Paris.
Quelles réalisations du collectif Encore illustrent cette volonté de réinvestir les villages français ?
Nous avons transformé une ancienne tannerie à Auterrive pour installer nos bureaux au premier étage. Au rez-de-chaussée, nous laissons libre un grand espace pour les associations du village, pour organiser des expositions, des conférences et débats, des concerts, du coworking, des séminaires…
Nos projets essaient le plus possible de créer ces lieux de rencontre, ces espaces de partage.
La réhabilitation de La Maison Hourré à Labastide-Villefranche, où vous habitez, est aussi le symbole de votre volonté de « composer avec l’existant », d’intégrer la nature, du soleil, du vent pour façonner l’habitat ?
Tout à fait. C’est une ancienne ferme basque de 700 m2que nous avons récupérée en ruine. Le toit s’était effondré en entraînant l’étage supérieur dans sa chute. Nous nous sommes instantanément dit : ne changeons rien. Nous avons donc gardé l’ouverture du toit intacte en créant une verrière de près de 30 m2.En hiver, le soleil chauffe directement les murs de pierre de 80 cm d’épaisseur et une pompe à chaleur air / eau chauffe le sol. L’inertie des murs non isolés à l’intérieur permet à la maison de respirer complètement, silencieusement, sans VMC. L’été, les épais murs de pierre garantissent une fraîcheur sans climatisation. Un autre exemple, la salle de bain extérieure, ceinte sur trois côtés, est coupée du vent et devient ainsi un « capteur de soleil » avec son propre microclimat. On peut y prendre des douches toute l’année.
Comment percevez-vous le futur de l’architecture ?
Je suis optimiste. Les choses commencent à bouger, à devenir plus durables. Le vivant et la nature doivent reprendre le pas sur la ville. Mais pour cela, il faut leur laisser de la place. C’est simplement une question de volonté. Mais ce ne sont pas les architectes qui créent le monde de demain. C’est chacun d’entre nous, ensemble, de manière responsable. Nous reprendrons ainsi le pouvoir. Il est grand temps.
En savoir plus : www.collectifencore.com
MINIBIO
Anna Chavepayre vit et travaille en France, dans le Béarn. Elle a fondé le collectif « Encore ». Passée par les agences de Rem Koolhaas et de Jean Nouvel, elle est aujourd’hui reconnue pour ses réalisations et positions avant-gardistes et respectueuses de l’environnement en matière d’architecture et d’aménagement du territoire. En 2018, Anna Chavepayre a reçu le prix Kasper Salin, la plus prestigieuse distinction décernée par l’Ordre des architectes suédois. Ce prix a récompensé son projet de maison Hamra qui, selon le jury, « invente des manières d’habiter et incarne un changement de direction ainsi qu’une nouvelle voie architecturale ». La polyvalence du collectif s’exprime à travers des réalisations qui vont d’un projet pilote d’habitat social paysan avec le Département, la réhabilitation d’une friche commerciale de 1 700 m2 en un tiers-lieu éco-responsable à Oloron Ste Marie, à un projet d’habitat social de 84 logements dans le nouvel éco-quartier de Brazza à Bordeaux.
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