Interview croisée – « Chaque chantier de façade est un prototype »


Cédric Schneider (BTP Consultants), Olivier Guisnel (CAREA), et Stéphane Fayard (SOPREMA Entreprises)

Cédric Schneider est référent technique national façade légère et bardage chez BTP Consultants, un bureau de contrôle technique implanté partout en France. Il intervient principalement lorsque les procédés mis en œuvre sur un chantier ne disposent pas de référentiel technique sur lesquels s’appuyer pour réaliser la mission de contrôle technique. De son côté, Olivier Guisnel est directeur des ventes au sein du groupe industriel français CAREA, basé dans les Pays de la Loire. CAREA travaille exclusivement avec un matériau géo-sourcé appelé le minéral composite. Celui-ci est notamment utilisé dans la fabrication de parements de bardage de façade pour l’Isolation Thermique par l’Extérieur et pour les façades architecturales. Enfin, Stéphane Fayard occupe le poste de directeur national façade chez SOPREMA Entreprises. Il accompagne les agences et les filiales qui souhaitent développer cette activité avec du conseil technique, de l’aide au chiffrage, du commerce, de la formation, etc.

Tous les trois sont membres de différentes instances telles que le SNBVI(1), la FFB(2), la Chambre Syndicale de l’Étanchéité, le GITE(3) ou encore le GS2.2(4). Ils ont accepté de nous livrer leur vision des tendances et des enjeux actuels et futurs du marché de la façade dans une interview croisée inédite !

Pour commencer, pourriez-vous nous dire quelques mots sur le rôle du SNBVI et de ses membres ?

Olivier Guisnel : Le SNBVI joue un rôle crucial dans l’interaction entre les différents membres industriels et dans la compilation des tendances du marché. Nous sommes d’ailleurs des industriels relativement différents en termes de typologie de matériaux : certains font de la terre cuite, d’autres du fibrociment, chez CAREA nous faisons partie de la famille du minéral composite. Cela constitue un panel d’industriels positionnés sur des marchés très hétérogènes.

Il faut vraiment prendre le syndicat comme un réceptacle d’expériences diverses et variées. Notre présence sur le terrain et notre écoute permanente du marché nous permet de faire remonter les tendances que nous observons. Nous faisons partie du SNBVI parce que nous avons à cœur de donner l’information et d’en prendre. C’est un cercle vertueux d’échange de données. Notre adhésion fait l’objet de réunions récurrentes avec parfois des thématiques : un chantier, un point règlementaire, une campagne de communication…

Olivier Guisnel, directeur des ventes chez CAREA

Quelles sont les tendances que vous avez observées pour la façade, à travers le SNBVI et CAREA ?

Olivier Guisnel : L’essor de CAREA au début des années 80 a été rendu possible par le développement des premiers gros chantiers d’Isolation Thermique par l’Extérieur en France qui concernaient notamment le parc social. Les logements sociaux étaient par essence de gros bâtiments, très énergivores. Ce marché est d’ailleurs encore très présent et très demandeur aujourd’hui, avec d’importants besoins. Je dirais même qu’il reste encore beaucoup de bâtiments énergivores sur le parc social et que ce marché représente un énorme potentiel pour les industriels, les entreprises comme SOPREMA Entreprises et les instances règlementaires.

Pour autant, il ne faut pas exclure le marché non-résidentiel privé ou public telles que les collectivités (écoles, hôpitaux, complexes sportifs…) sur lesquels il y a beaucoup de besoins. Ces typologies de bâtiments sont par essence des bâtiments avec un fonctionnement et un usage spécifique, et pour lesquels la notion d’Isolation Thermique par l’Extérieur couplée à une véritable recherche architecturale est essentiel !

Il est important de rappeler que, de manière globale, le marché est conditionné avant tout par la règlementation et les normes : sismiques, incendie, environnementales, de résistance mécanique, de durabilité…

D’après vous, comment la réglementation influence-t-elle justement les pratiques techniques et le choix des matériaux pour la façade ?

Cédric Schneider : Pour rebondir sur ce qui vient d’être dit, il y a deux notions importantes qui ont été évoquées et qu’il faut distinguer : la notion de contexte règlementaire et la notion de système normatif. En ce qui concerne les sujets règlementaires, ceux-ci sont visés par des lois, décrets, arrêtés et prennent par conséquent un caractère obligatoire. Fondamentalement, cela veut dire qu’on ne peut pas y déroger. C’est le cas, comme l’a dit Olivier Guisnel, de sujets en lien avec le sismique, le thermique, la sécurité incendie ou encore l’accessibilité. Nous sommes sur ce qu’on appelle du « droit dur ».

À l’inverse, il y a aussi la notion de contexte normatif. Ce sont les textes tels qu’ils existent aujourd’hui : normes, règles de l’art (DTU) établies par les acteurs concernés (fabricants, entrepreneurs, contrôleurs techniques…) et publiées par l’AFNOR(5). L’application de ces textes est d’ordre contractuelle. L’utilisation d’un référentiel comme un DTU, des recommandations professionnelles ou règles professionnelles, des ATEx ou Avis technique délivrés favorablement va conduire à une notion de technique courante ou de technique non-courante et détermine l’assurabilité de l’ouvrage. Pour être reconnu en technique courante, il faut que l’ensemble – procédé, mise en œuvre et support – soient visés.

Cédric Schneider, référent technique national
façade légère et bardage chez BTP Consultants

Aujourd’hui, on retrouve de plus en plus la volonté de réduire l’empreinte carbone du bâti et la notion de réemploi. Or, si on regarde les textes, on se retrouve souvent avec un trou dans la raquette par rapport à ce couple procédé/mise en œuvre/support. C’est notamment le cas pour la construction façade à ossature bois selon NF DTU 31-4. Elle se développe de plus en plus en France et pourtant, les tenants de procédés de bardage rapporté tardent à s’approprier ce type de support. Alors, des évaluations complémentaires doivent être menées pour s’assurer de la faisabilité et de la compatibilité du couple produit/support. Ça, on est en mesure de l’évaluer à travers des prestations de type ATEX. C’est une prestation du CSTB(6) qui fait intervenir des experts extérieurs. Selon le sujet et s’il dispose des compétences en interne, le contrôleur technique peut également traiter ce sujet directement avec l’entreprise au travers d’une prestation complémentaire spécifique, pour sécuriser l’acte de construire.

Comment SOPREMA Entreprises se positionne-t-elle par rapport à ces enjeux règlementaires et normatifs ?

Stéphane Fayard : SOPREMA Entreprises se positionne plutôt bien même si cela reste un exercice compliqué. Il y a d’ailleurs plusieurs points qui viennent d’être évoqués, sur lesquels j’aimerais revenir et qui me permettent d’expliquer la difficulté de notre métier.

En tant qu’entreprise de travaux, nous devons travailler en respectant un certain nombre de critères : délais, budget, esthétique, sécurité, règles de l’art… Pour ça, nous avons besoin de nous appuyer sur des compétences internes mais aussi sur des experts externes !

C’est encore mieux si on peut compter sur l’expérience et la compétence d’un industriel, lui-même proactif et présent dans les mêmes instances que nous. On parle le même discours, on se comprend plus vite. Et puis, il y a le contrôleur technique, missionné par le maître d’ouvrage, qui a lui aussi son rôle à jouer. Ce n’est pas un ennemi, bien au contraire. C’est un véritable partenaire qui œuvre à nos côtés pour que le chantier se fasse dans de bonnes conditions !

Nous sommes actuellement dans une ère d’innovation, où les tendances évoluent rapidement. Pourtant, nous devons continuer à travailler dans les règles de l’art. Le règlementaire court toujours après l’innovation, nourrit par le retour d’expérience ! C’est pourquoi il est essentiel pour SOPREMA Entreprises d’avoir une présence dans les instances où les grandes orientations se décident, pour comprendre et participer aux raisonnements. Ensuite, mon rôle est de faire descendre l’information jusqu’au bureau d’études et aux équipes travaux. Je les aide à adopter les bons réflexes, à aller chercher l’information dans les textes, à se poser les bonnes questions pour comprendre ce qu’ils font, et donc à raisonner à leur tour.

Au sein du groupe SOPREMA, on retrouve une véritable volonté d’innover. Notre PDG, Pierre-Etienne Bindschedler, est un précurseur. SOPREMA a développé des techniques de végétalisation en toiture terrasse, mais aussi d’étanchéité liquide ou de photovoltaïque avant les autres. C’est dans la culture de l’entreprise que de sortir des sentiers battus, mais toujours dans la maîtrise des risques !

 

Stéphane Fayard, Responsable national Façade
chez SOPREMA Entreprises

La réussite d’un projet de façade repose sur une collaboration étroite entre tous ses acteurs. Auriez-vous des exemples à nous partager où la synergie entre BTP Consultants, CAREA et SOPREMA Entreprises était particulièrement réussie ?

La Savonnerie de Lodève

Olivier Guisnel : Il y a un projet de réhabilitation thermique qui me vient à l’esprit, situé sur la commune de Lodève, dans l’Hérault (34). Il s’agit d’un bâtiment emblématique, la Savonnerie, et qui, comme son nom ne l’indique pas, abrite une fabrique artisanale de tapis. Ce bâtiment dépend à la fois du Mobilier National, de la DRAC(7) et du ministère de la Culture. L’enjeu principal de ce chantier était de travailler sur un bâtiment existant, aux volumes complexes, en site occupé et nécessitant de multiples compétences : traitement de façade, reprise du gros œuvre, désamiantage, peinture, etc.

SOPREMA Entreprises a été le catalyseur de chacun de ces savoir-faire. Tous ensemble, nous avons pu travailler sur l’optimisation du calepinage et sur des systèmes de mise en œuvre facilitant la manutention de dalles à la fois très lourdes et très imposantes.

Je tiens vraiment à souligner l’excellente collaboration entre les équipes SOPREMA Entreprises et nos propres équipes chez CAREA. Ce projet est une réussite technique et esthétique et les procédés mis en œuvre ont permis de satisfaire à la fois le bureau de contrôle et l’architecte. Il était hors de question de poser des solutions qui ne soient pas visées par un avis technique. Résultat : ça donne une façade dont le savoir-faire est à l’image du savoir-faire des artisans tapissiers qui œuvrent au sein de la Savonnerie.

Stéphane Fayard : La difficulté pour nous, entrepreneurs, a été de répondre aux contraintes techniques, esthétiques et règlementaires tout en maintenant une certaine rentabilité financière. Ce type de chantier comporte de nombreux points singuliers alors, l’accompagnement d’un industriel en amont du projet est fondamental. Si nous nous engageons dans quelque chose qui n’avait pas été anticipé au moment de la conception et par conséquent du chiffrage, par exemple la prise en compte de contraintes sismiques ou de la sécurité incendie, c’est la sanction immédiate d’un point de vue financier. Et d’autant plus quand il s’agit d’un chantier atypique qui sort du cadre des règles de l’art.

Je pense notamment au chantier d’Asnières (92) sur lequel nous avons travaillé de concert avec Cédric. SOPREMA Entreprises était en charge de la réalisation du bardage composé de cassette métalliques de grandes dimensions. Le procédé ne bénéficiait pas d’une évaluation sur laquelle s’appuyer. Alors, BTP Consultants a établi une liste de justifications à fournir. Sur cette base, et avec l’aide de l’industriel, nous avons pu constituer le dossier final et justifier de la bonne tenue au vent du produit. Le montage du dossier par SOPREMA Entreprises et les essais réalisés par l’industriel ont permis de solder favorablement ce point. Sur le papier, le chantier d’Asnières paraissait simple. Pourtant, nous avons dû rentrer dans le cadre règlementaire et réaliser des évaluations complémentaires. Comme quoi, rien n’est jamais acquis. Chaque chantier est un prototype !

Un mot de la fin ?

Cédric Schneider : Il est essentiel aujourd’hui que les textes normatifs évoluent. Les modes constructifs évoluent, la façade à ossature bois prend de plus en plus d’ampleur et pourtant, on se retrouve encore avec des vides sur ces supports. Des DTU existent bel et bien mais les revêtements ne possèdent pas d’avis technique ou de document d’aptitude à l’usage. Ici aussi, les retours d’expérience sur les chantiers ont toute leur importance. Ils permettent d’éviter les vides normatifs et les incohérences entre revêtements et supports, de combler les lacunes sur certains supports et de créer des documents là où il n’y en a pas. Par exemple, nous évoquions plus tôt le réemploi. Or, il existe très peu de documents aujourd’hui sur lesquels s’appuyer lorsqu’on parle de réemploi.

Stéphane Fayard : Dans la continuité de ce que vient de dire Cédric, je soulignerai le fait que toutes les commissions auxquelles nous participons sont sur la base du volontariat et du bénévolat. C’est un investissement en temps non-négligeable et c’est tout à l’honneur de SOPREMA Entreprises de nous permettre d’y être et de jouer le jeu. Notre participation à tous – industriels, contrôleurs techniques, entrepreneurs – permet de faire évoluer le métier et la filière et de positionner SOPREMA Entreprises comme un des acteurs majeurs de la façade.

 

 

(1) Syndicat National des Bardages et Vêtures Isolés
(2) Fédération Française du Bâtiment
(3) Groupement de l’Isolation Thermique par l’Extérieur
(4) Groupe d’experts qui valide les documents référentiels tels que les avis techniques
(5) Association française de normalisation
(6) Centre Scientifique et Technique du Bâtiment
(7) Direction régionale des Affaires culturelles