Hors site, modulable, démontable : les opportunités exceptionnelles de l’architecture flottante


Depuis 35 ans, Gérard Ronzatti a fait de l’architecture flottante son unique terrain de jeu. Avec Seine Design, son agence d’architecture, il a donné le jour à des projets aussi emblématiques que l’Adamant – le premier hôpital psychiatrique de jour amarré sur la Seine -, Fluctuart et récemment le Quai de la Photo.
Il est donc un interlocuteur idéal pour analyser l’engouement actuel pour les bâtiments flottants, mais aussi pour prendre du recul par rapport aux visions fantasmées et aux utopies. L’architecture flottante est-elle la solution à l’hyper-densité des villes, l’élévation du niveau de la mer, les crises climatiques ? Nous en discutons avec lui.

Rosa Bonheur – Photo : Seine Design

A quand remontent les premiers projets d’architecture flottante ?

Sous Louis XIV et Louis XV, les spectacles nautiques étaient très prisés. Nous avons retrouvé notamment une gravure qui date de 1739, intitulée « le spectacle nautique de Servandoni pour le mariage de Louise-Elisabeth avec le futur duc de Parme ». On y voit une sorte de « folie » flottante, pas si éloignée des constructions flottantes actuelles. Cette plateforme accueillait les orchestres et contribuait par ses mouvements, sa rotation, à la scénographie du spectacle. Plus récemment encore, à partir du 18ème siècle, tout un imaginaire se développe autour de l’architecture flottante. Jules Verne y a notamment consacré deux ouvrages, « La ville flottante » et « L’Île à hélices ».

Hôtel OFF Paris – Photo : Sergio Grazia photographe

Comment expliquer ce regain d’intérêt aujourd’hui ?

Paris est une ville pilote sur ces sujets. En 2016, elle revient sur des décennies de règne de l’automobile et ferme la voie Georges Pompidou aux voitures sur 3,3 km. Les objectifs sont liés à l’écologie et la qualité de vie : limiter la pollution de l’air et le bruit, offrir un espace de respiration et de promenade au cœur de Paris, etc.
Ce préalable ouvre la voie au développement de l’architecture flottante, notamment avec le concours Réinventer la Seine lancé en 2016 par la ville de Paris, associée aux agglomérations de Rouen, du Havre et au Port de Paris Seine Normandie (HAROPA). A partir de ce moment-là, les projets de lieux culturels, sportifs, touristiques ou d’utilité sociale peuvent se développer.

Fluctuart au port des Invalides – Photo : Sergio Grazia photographe

L’architecture flottante est-elle vertueuse du point de vue du bilan carbone ?

C’est clairement son point fort. Les éléments des bâtiments sont construits hors site, dans des ateliers et acheminés par voie d’eau. On évite donc toutes les nuisances de la construction sur site, la production de déchets, etc. Par ailleurs, les bâtiments sont modulaires et démontables. Si un jour l’emplacement ne convient plus, pas besoin de détruire l’édifice. Déplacer l’hôtel Off Paris Seine – l’hôtel flottant conçu par Seine Design et amarré quai d’Austerlitz depuis 2016 – coûterait un demi-million d’euros : on peut le « pousser » jusqu’au Havre et le mettre sur une plateforme pour traverser l’Atlantique ! Globalement, le bilan carbone de l’architecture flottante est exceptionnel…

Entrée de Fluctuart – Photo : Sergio Grazia photographe

Quel est le potentiel de l’architecture flottante ? Peut-on imaginer qu’elle se développe de façon exponentielle, en réponse par exemple à la pénurie foncière, à l’élévation du niveau de la mer, etc ?

Ce n’est pas du tout notre vision ! A chaque fois que je fais une conférence sur ce thème, j’ai l’impression de détruire une part d’imaginaire, car l’architecture flottante fait énormément rêver. Sur internet, on voit beaucoup d’images de villes flottantes… Mais ce ne sont que des images, pas des réalisations concrètes !
Le champ de l’architecture flottante est forcément restreint. En pleine mer, ce territoire hostile, seuls les bateaux (stabilisés par la propulsion) et les plateformes pétrolières, très onéreuses, peuvent survivre.
L’architecture flottante est possible seulement dans les zones protégées, dans les ports, lacs, berges des fleuves, lagunes, les estuaires… Au niveau mondial, cela représente seulement 10 000 km de berges urbaines. On peut imaginer que l’on logera 100 000 personnes ainsi. A l’échelle de la planète, ce n’est rien.

Annette K depuis le ballon de javel – Photo : Sergio Grazia photographe

Quel champ d’action lui reste-t-il alors ?

L’architecture flottante ne peut pas être banalisée. Elle donne une visibilité remarquable aux projets, elle attire les regards, l’attention. Elle est donc pertinente pour tout projet pilote, innovant, qu’il soit culturel, patrimonial, social, etc. Par ailleurs, elle a un coût. On peut estimer qu’à surface égale, un bâtiment flottant coûte 40 à 50 % de plus qu’un bâtiment terrestre.
Reste qu’installer l’Adamant sur la Seine contribue à changer le regard sur la psychiatrie, longtemps reléguée à la lisière de la ville. En plaçant l’établissement au cœur de la ville, on accomplit un geste symbolique fort, à l’impact démultiplié.
Ce projet en particulier nous a beaucoup appris. Nous n’avions pas conscience que l’architecture flottante pouvait aider à guérir. Or l’expérience montre que le léger bercement du bâtiment lié aux mouvements de l’eau ainsi que la proximité avec la nature contribuent à apaiser les patients, à les soigner.

Hôpital Adamant – Photo : Seine Design

Quels types de projets avez-vous pu développer avec Seine Design ?

Nous avons réalisé une quinzaine de bâtiments flottants sur les berges de la Seine : des centres d’hébergements d’urgence, un hôpital psychiatrique de jour (l’Adamant, filmé récemment par Nicolas Philibert), la guinguette flottante Rosa Bonheur, le OFF Paris Seine, un centre d’art urbain (le Fluctuart), un complexe piscine-balnéothérapie-sport et pôle médical (la piscine Annette K.) et le tout dernier, ouvert en septembre, le Quai de la photo, un lieu d’exposition et de rencontre.

 

MINIBIO

 

Photo : Seine Design

Diplômé de l’école nationale des Beaux-Arts de Paris, Gérard Ronzatti est parti enseigner à l’université d’Alep, en Syrie, avant d’intégrer en 1981 l’atelier de Montrouge. Lorsqu’il décide de se mettre à son compte, un ami lui demande de créer toute la base logistique flottante d’une entreprise (aujourd’hui appelée Bateaux Parisiens) au pied de la tour Eiffel : soit un embarcadère, des bureaux, une cuisine, etc. Le déclic a lieu, Gérard Ronzatti « s’embarque » alors définitivement dans l’aventure de l’architecture flottante. Il construit des bateaux passagers pour Paris, Londres, New York et Dubaï et se focalise depuis une douzaine d’années sur les bâtiments flottants. Président de Seine Design, il réalise une quinzaine de bâtiments à Paris, dont la guinguette Rosa Bonheur, l’Adamant, des lieux culturels, sportifs, touristiques, culturels, etc. Une expertise que l’agence entend exporter à l’étranger, sur les berges urbaines, mais aussi sur les lacs, notamment à Berlin.