Acoustique : absorption et isolation, le couplé gagnant


Empêcher le bruit intérieur de se propager à l’extérieur, tout en protégeant les occupants d’un bâtiment. Et, à l’inverse, empêcher les bruits extérieurs de pénétrer. Un triptyque qui exige notamment un travail fin sur l’enveloppe pour qu’elle apporte à la fois l’absorption et l’isolation acoustique nécessaires.

Quel que soit l’environnement concerné (bureaux, logements, établissements scolaires, gares, aéroports, usines, etc.), le bruit est la nuisance la plus mal supportée par les concitoyens. Ses impacts sont très concrets en termes de santé, mais aussi sur le plan économique. Au sein de la zone dense francilienne, Bruitparif estime ainsi que le bruit fait perdre près de 11 mois d’espérance de vie en bonne santé à ceux qui y sont quotidiennement exposés, tandis qu’une étude de l’Ademe et du Conseil national du bruit (CNB) de janvier 2021 évalue son coût pour la société française à 147 milliards d’euros par an.

Pour autant, l’exposition au bruit dans les bâtiments n’est pas une fatalité. Les solutions existent pour à la fois l’amoindrir, s’en isoler et éviter sa propagation à l’extérieur. Sachant que l’efficacité d’une solution technique dépend de nombreux paramètres : niveaux des bruits extérieurs et intérieurs, nature des matériaux, type et qualité de la construction, type d’activité, etc. Il est également plus facile d’intervenir au stade de la conception plutôt qu’en rénovation de l’existant. Cela dit, les techniques mises en œuvre en rénovation sont, pour la plupart, des adaptations de celles utilisées dans la construction neuve.

Nouvelle usine GH à Clisson Perspective : CUB Architecture

ÉTUDES SPÉCIFIQUES

Avant tout, il importe de faire la différence entre correction et isolement acoustique : « L’absorption ou la correction acoustique est liée au confort à l’intérieur d’un bâtiment », explique Ibai Rodriguez, responsable technique et développement produit chez Tecsound, filiale de SOPREMA spécialisée dans les solutions acoustiques. « Par exemple, dans des bureaux partagés ou un restaurant, on peut observer des phénomènes de réverbération, liés aux surfaces des murs et plafonds qui seront plus ou moins absorbantes. Dans l’industrie, ce sont les machines à l’intérieur du bâtiment qui font du bruit. Il faut donc traiter l’absorption de façon à affaiblir les bruits pour protéger les travailleurs. » L’autre point concerne l’isolation acoustique : « Le principe est de créer une barrière entre deux espaces de façon à ce que le bruit transmis entre la source et la destination soit le plus faible possible », poursuit Ibai Rodriguez. D’où deux possibilités : l’isolement acoustique est réalisé entre pièces à l’intérieur ou alors entre l’extérieur et l’intérieur d’un bâtiment – typiquement, le cas des immeubles, habitations ou bureaux soumis aux bruits extérieurs, comme celui d’une autoroute ou d’un aéroport.

Selon les secteurs, deux cas de figure se présentent. Sur les bâtiments de bureaux et établissements recevant du public (ERP) – restaurants, centres commerciaux, écoles, etc. –, « nous traitons le confort, l’intelligibilité c’est-à-dire la possibilité de s’entendre sans forcer la voix. Notre action porte donc sur le confort de vie des salariés et des occupants », précise Daniel Julia, directeur de la division acoustique du groupe SOPREMA et gérant de Tecsound : « Dans le secteur de l’industrie, où nous parlons davantage de mise en conformité, notre approche sera plutôt axée sur la sécurité des travailleurs. » Sachant que si certaines règles s’appliquent à tous les bâtiments, chaque cas est, en revanche, un cas particulier et exige souvent une étude spécifique pour déterminer les bonnes options : « En fonction des sources sonores, il y aura des solutions différentes qui s’appliqueront à des endroits bien distincts du bâtiment. Ainsi, en cas de bruits de l’intérieur vers l’extérieur, il convient d’intervenir sur l’enveloppe pour caractériser des vitrages acoustiques, des façades, des éléments de menuiserie. À l’intérieur, nous nous intéresserons à des solutions d’isolement, cloisons ou systèmes constructifs liés à l’agencement des pièces », détaille Daniel Julia.

UNE RÉFLEXION GLOBALE

Actuellement maître d’ouvrage d’une nouvelle usine, le Grand H, Matthieu Martin, directeur adjoint GH, filiale de SOPREMA Entreprises intervenant dans le secteur de la menuiserie métallique et enveloppe du bâtiment, est confronté à ces problématiques. Et pour lui, la réussite du projet, qu’il s’agisse de prévention pour les ouvriers, de confort pour les visiteurs ou de respect de l’environnement urbain, passe par un traitement acoustique de qualité. Ce, dès la phase conception : « C’est pourquoi nous avons fait appel à un cabinet d’architecture spécialisé – CUB architecture –, qui intègre la compétence acoustique. Dans le cadre de ce projet, il était plus simple d’intégrer ce sujet à la réflexion globale et d’affiner au fur et à mesure, y compris sur le plan budgétaire pour un bon arbitrage coût/efficacité. »

Sachant que c’est aussi la législation du travail qui fixe les règles : « Dans le cas qui nous intéresse, explique Paul-Henri Buet, ingénieur en acoustique chez CUB-architecture (voir interview), la réglementation impose le port de protections individuelles (bouchons d’oreilles, casques) à partir des 80 dB d’exposition, et éventuellement des capotages sur les machines – seul cas où l’absence de protections peut s’envisager. En outre, dès 85 dBA (1) sur une journée, le bâtiment doit offrir une absorption minimale, ce qui signifie assurer une décroissance linéaire du bruit de 4 dB. »L’objectif sera donc de trouver le bon compromis entre absorption pour répondre à la réglementation et isolement, l’usine étant voisine d’une zone d’habitation. L’objectif étant aussi, pour Matthieu Martin, d’avoir des ateliers les moins bruyants possible. Cela dit, c’est tout de même l’absorption qui prévaut : « Qu’elle soit maximale et efficace, sans critère d’intelligibilité. Ici, nous nous sommes attardés sur la décroissance spatiale. Concrètement, plus on s’éloigne de la source, plus le son diminue. Un principe de décroissance que nous forçons avec davantage d’absorption », résume Paul-Henri Buet.

(1) Mesure de l’intensité sonore telle que perçue par une oreille humaine moyenne.

Augmentation de l’indice d’affaiblissement acoustique sur une paroi Illustration : Tecsound

AIDER LES MAÎTRES D’OUVRAGE

Sur ce double aspect, SOPREMA Entreprises est en capacité de répondre aux demandes les plus complexes : « C’est un peu notre activité historique, souligne Ibai Rodriguez. Nous n’intervenons pas en tant que fournisseur de matériaux, mais en tant qu’experts et concepteurs de solutions. » Sur la base du projet architectural et des exigences acoustiques, l’objectif est d’aider les maîtres d’ouvrage à choisir des solutions d’enveloppe conformes aux besoins d’absorption et d’isolement. « Et toute la complexité, reprend Daniel Julia, réside dans la combinaison des deux, trouver un système capable de répondre en même temps et à des niveaux très élevés. Pour ce faire, nous concevons des systèmes multicouches : une première traite l’absorption et une seconde, l’isolement ». Les équipes de SOPREMA Entreprises s’appuient sur la modélisation : « Nous utilisons le logiciel AcouSYS, développé par le CSTB. S’il n’a pas vocation à garantir un quelconque résultat, il sait, en revanche, calculer les performances acoustiques avec précision et donc orienter vers certaines configurations plutôt que d’autres. »

Dans la pratique, Alain Adamo, responsable du secteur industrie chez Tecsound SARL, explique qu’il intervient directement avec les bureaux d’études des sociétés concevant des produits pour lesquels l’acoustique apporte une plus-value qualitative. Cette démarche permet ainsi de développer avec les clients des arguments de vente supplémentaires vis-à-vis de la concurrence : « Nous travaillons avec eux pour leur apporter les solutions qui correspondent le plus à leur demande en accord avec les spécificités techniques et économiques de leur projet. Nous nous positionnons comme prescripteur et travaillons en collaboration avec les ingénieurs acousticiens. » Daniel Julia abonde en ce sens : « Il faut raisonner en objet multifonction. L’acoustique peut entrer dans des projets liés à la signalétique, ou nécessitant une isolation thermique, ou encore présentant des contraintes feu. Donc nous essayons au maximum d’apporter cette plus-value acoustique dans sa notion transversale. »

 

CHIFFRES CLÉS

86 % des Français se déclarent gênés par le bruit à leur domicile (2)

100 000 € coût moyen d’une surdité professionnelle indemnisée par la Sécurité sociale (3)

85 dB(A) sur huit heures : niveau d’exposition à partir duquel des dommages peuvent survenir (3)

80 dB(A) sur huit heures : niveau d’exposition préoccupant (3)

(2) Source ministère de la Transition écologique (3) Source INRS

 

Paris, Maison de la Radio – Photo : Tecsound

GLOSSAIRE

La correction acoustique

consiste à traiter la diffusion du son à l’intérieur d’un local en agissant sur les qualités d’absorption et/ou de réflexion de la paroi mur-cloison ou plafond/toiture. L’objectif est de diminuer le niveau sonore des locaux bruyants en augmentant l’absorption, tout en jouant sur les réflexions entre la source et les occupants. Il s’agit, entre autres, de réduire les réflexions tardives du son par absorption (temps de réverbération).

Le coefficient d’absorption acoustique (w)

indique la capacité d’un revêtement à absorber l’énergie d’une onde sonore. Ce chiffre varie de 0 à 1. Plus il est grand, plus le matériau est absorbant. Lorsqu’il est égal à 0, le matériau n’absorbe aucun bruit ; égal à 1, il l’absorbe en totalité.

L’isolation acoustique aux bruits aériens

traite, elle, la transmission des bruits d’un local à un autre. L’isolation acoustique apportée par une paroi (mur, cloison, plancher) exprime sa faculté ici à s’opposer à la transmission des bruits aériens d’un côté à l’autre de la paroi. Sa performance est donnée par son indice d’affaiblissement acoustique Rw+C en dB, mesuré en laboratoire : plus cet indice est élevé, plus la paroi est performante et meilleur est l’affaiblissement.

 

Trois questions à Paul-Henri Buet, Ingénieur en acoustique, CUB-Architecture

Avant d’aborder la problématique acoustique, pouvez-vous nous dire en deux mots le parti pris architectural du projet Grand H ?

Implanté sur une parcelle de 40 000 m2, ce projet est situé dans la zone d’activité de Clisson. Il s’agit d’une halle en construction métallique avec, juste à côté, un atelier de production de charpente se déployant sur 20 000 m2, 1 500 m2 de bureaux, des locaux sociaux et enfin des espaces de réception sur 1 000 m2. Concernant l’écriture architecturale, c’est un bâtiment à l’anglaise, inspiré des usines en brique rouge, avec des sheds bien marqués et une cheminée typique. Le parti pris est de montrer que l’on est dans l’industrie.

Quelles ont été les spécificités acoustiques de ce projet et comment les avez-vous résolues ?

Il y avait plusieurs axes. En premier lieu, la protection du bâtiment vis-à-vis du bruit extérieur – dans le cas présent, un environnement certes peu bruyant, qui demande néanmoins de s’y arrêter. Ensuite, une enveloppe capable de protéger du bruit les occupants, mais aussi les riverains, soit une double fonction intérieure et extérieure. C’est donc le dimensionnement de l’enveloppe – en particulier sur la partie atelier de fabrication – qui va permettre d’éviter la propagation des bruits, notamment celui des machines, vers l’extérieur, tout en assurant aux travailleurs une ambiance modérément agressive, conformément à la réglementation en vigueur. L’enveloppe vient donc ici contrôler la réverbération du local par absorption des bruits intérieurs, ce qui empêche leur amplification.

Comment cela se traduit-il techniquement ?

Nous avons travaillé par simulation informatique. Ce qui suppose de récupérer, en amont, le maximum d’informations auprès des fournisseurs sur le process industriel et sur les panneaux de l’enveloppe. Si ces derniers éléments sont assez bien maîtrisés car encadrés par des essais, c’est plus complexe pour les process car il existe peu de données, d’où la nécessité de dresser des hypothèses, parfois alarmistes. Ensuite, une représentation en 3D reprend les différentes sources – process, type et nombre de machines, emplacement… Le logiciel va ensuite proposer un paramétrage : niveau de bruit à l’intérieur, capacité du local à l’absorber, niveau de propagation vers l’extérieur, etc. Chaque élément – façades, ouvertures, toiture, etc. – offre une performance acoustique ; tout est pris en compte. S’ensuit une importante phase de simulations, de modifications de paramètres, de comparaisons. C’est toute une cuisine – un peu plus de ceci, un peu moins de cela – jusqu’à obtenir un bon équilibre.